Café mémétique du 7 juillet 2012.
Etaient présents : Charles Mougel, Pascal Jouxtel, Bertrand Biss, Angela Ryan, Jean-Paul Baquiast, Jean-François Lucas, Loick Labreuille, Justine Jouxtel, et Guy Pignolet.
Samedi 7 juillet, nous avons profité de la présence sur Paris d’Angela Ryan pour organiser un café mémétique.
Après avoir échangé autour du travail d’Angela Ryan, nous avons abordé la question des phénomènes créatifs et culturels et les méthodes pour les appréhender.
Nous avons ensuite conclu en discutant de nos modalités de travail et d’intervention.
Angela Ryan
Angela Ryan s’intéresse à la mémétique et aux rapports entre la méthode scientifique et la méthode littéraire depuis une trentaine d’années, et fait partie des membres fondateurs de la SFM.
Sur le schéma de Corfield ci-dessous Angela Ryan a ajouté les dates des premières inscriptions culturelles connues : graphique (peintures pariétales de Chauvet) et textuelle/tragique (épopée de Gilgamesh) Ces deux documents de l’imaginaire humain représentent l’être humain examinant sa condition face à sa mortalité. Le modèle cognitif de la tragédie exploré par Angela Ryan dans sa recherche sur l’héroïne de tragédie porte sur l’inscription culturelle en tant qu’élément de base dans la transmission culturelle et mémétique.
Le mème serait pour l’évolution de la culture ce qu’est le gène dans l’évolution biologique : l’évolution des humains serait un va-et-vient, et non une polarisation des deux systèmes (plus exactement systèmes de systèmes) de transmission.
Les sciences dites exactes pourraient théoriquement un jour « expliquer » la littérature, comme elle explique ou expliquera tout phénomène observé. En attendant, et depuis toute l’histoire de l’humanité, les sciences dites humaines ont « expliqué », en tout cas exploré et cherché à comprendre, dans des discours plus ou moins pré- et proto-scientifiques, l’existence du sujet et de son écosystème physiologique et psychologique.
L’on apprend à vivre et à comprendre la vie par l’inspection (méthode scientifique) et par l’introspection (approche « humaine », imaginaire, créatrice etc.). Ce que les anthropologies décrivent en métalangage, les littératures (à inscription orale, lexicale et audio-visuelle) « performent » en langage.
Ces approches, venant du passé, du présent comme du futur théorique, ne sont pas à comprendre en tant que dualisme et encore moins en tant qu’opposition binaire : le sujet humain existe et comprend son existence en tant que système non seulement corps-esprit mais aussi être-écosystème, et individu-groupe. Les relations entre les éléments du système sont de type réseau complexe à multi-dimensions, et communiquant tant par dénotation tant par connotation (e.g. langage tantôt scientifique tantôt métaphorique/littéraire au sens large).
Voilà le contexte ontologique et épistémique de la recherche d’Angela Ryan. L’ouvrage L’Héroïne absente : la tragédie comme inscription culturelle en traite un aspect : trois héroïnes de la mythologie, Andromaque, Iphigénie et Phèdre, représentées sous forme tragique au 5ième siècle de l’antiquité par Euripide et au 17ième siècle par Racine, et montrant l’évolution de la représentation de la figure héroïque féminine.
Angela Ryan a également publié sur Médée et sur d’autres figures héroïques et « héroïniques » ( https://publish.ucc.ie/researchprofiles/A015/ar )
Heroic Memes
Pascal Jouxtel a représenté sous forme de carte mentale, les quelques notes qu’il a prises pendant les échanges :
« Heroic memes » – Causerie avec le Pr Angela Ryan de l’Université de Cork
– Des invariants dans les grammaires de l’imaginaire
– C. Lévy-Strauss – anthropologie structurelle
– G. Steiner – Grammaires de la création
– G. Duran – Structures anthropologiques de l’imaginaire
– Binaire : diurne – nocturne
– Ternaire : tension, remplissage, pulsation
– Il n’y a que 7 histoires
– et sept catastrophes morphogénétiques
– Quête, invité par invité, rencontre inattendue, naissance d’une dynastie, fin d’une dynastie, groupe prépare la guerre, groupe se remet de la guerre.
– Recyclage permanent des schémas (Lara Croft sortant de l’onde)
– Conditions de l’émergence du neuf
– Forte émotion partagée ou non
– Transgression, impensable
– Deux approches en mémétique
– Une quête rétrospective des invariants (phylogénèse)
– Une observation des petits actes élémentaires (ontogénèse)
– Transformation du contrat moral
– Tragédie = apprentissage de la démocratie
– discussion dans l’espace social
– apprendre à faire nos choix éthiques
– une écologie des sélecteurs
– aujourd’hui, la tv joue parfois ce rôle
– Généalogie évolutionnaire des dieux
– construction remontante
– l’Orestie : les Olympiens succèdent aux titants
– on relit le passé à la lumière d’aujourd’hui
– Transmission aux enfants
– une écologie des petits gestes
– alertes, drames, crimes
– inceste, canibalisme
– Le récit se transforme en loi de façon continue
– Transmission horizontale
– exemple de Médée dans le travail d’Angela Ryan
– l’infanticide devient à l’usage le seul caractère distinctif de Médée
– on détecte la propagation grâce aux erreurs qui se transmettent dans les histoires
Discussion
Pour compléter ce compte-rendu, voici quelques commentaires des autres participants, recueillis peu après. Merci à chacun pour leur participation.
Loick Labreuille se souvient que l’on a brièvement évoqué les transmissions liées à l’infra-langage au sein de la famille (tout ce qui n’est pas énoncé clairement et qui pourtant se transmet, se réplique d’une génération à l’autre).
Et qu’ensuite Angela Ryan nous a amené à penser qu’il y avait une relation synergique, d’influence bijective entre le mythe et son milieu historique. L’héroïne définit le cadre dans lequel les jeunes femmes peuvent s’identifier et à l’inverse le mythe peut changer / muter brusquement pour répondre à une interrogation, un besoin de réponse, de compréhension de la société face à un « impensable » comme dans le cas de Médée devenue, suite à une variante l’icône de l’infanticide.
Par ailleurs l’héroïne change peu a peu pour répondre aux attentes d’une époque. Ainsi « Blanche Neige 1937 » fait le ménage, le blanchiement et la cuisine/vaisselle attendant le prince qui lui est dévolu, et qui arrive à l’extrème fin de l’histoire… alors que Blanche Neige 2012, mène une guerre contre la marâtre, délaisse le prince pour préférer le chasseur auquel elle s’est confrontée tout au long du récit.
Diagramme espace/temps
Charles Mougel a apprécié une réflexion sur le diagramme espace/temps représentant l’évolution culturelle (il représente en fonction du temps la présence d’éléments culturels dans des lieux, des cultures ou des oeuvres). Il peut tout d’abord être tracé sans nécessairement faire de lien causal précis, oubliant un temps les questions « Est-ce que tel élément est à l’origine de l’autre, ou est-ce qu’ils se sont créé sans interaction aucune ? », Les conditions de création étaient similaires ou non ? ».
Dans ce cadre, il existe deux axes de lecture :
- l’évolution (objective) telle qu’elle s’est déroulée, du passé vers aujourd’hui
- l’évolution (subjective) telle qu’on l’interprète (avec difficulté) aujourd’hui, du présent vers le passé.
Clarifier certaines notions
Bertrand Biss a remarqué qu’il serait nécessaire de clarifier la notion de transmission, en posant la question suivante : est-ce que toute transmission culturelle est mémétique ?
Charles Mougel ajoute que les notions de transmission/reproduction/réplication mériteraient d’être détaillées dans chaque cas étudié, et pour chaque approche. Il faudrait faire le point, car il existe différentes manières d’expliquer des similarités qui se re-produisent (conditions initiales produisant la même chose, apprentissage personnel reproduisant ce qui fonctionne, apprentissage par imitation, etc…)
La question du statut de l’information, du positionnement de la mémétique vis à vis de tout type de transfert d’information a également été abordée. Toute information est-elle mème, tout mème est-il information ? (voir peut-être du coté du Darwinisme Etendu pour un cadre général clair)
Ne pas oublier la composante neuronale
Jean-François Lucas et Jean-Paul Baquiast suggèrent de ne pas oublier la composante neuronale. Ce dernier a apprécié faire la connaissance de certains d’entre-nous qu’il ne connaissait que de nom.
Comment avancer en groupe
Guy Pignolet a participé pour la première fois à un café mémétique, par le hasard des choses et des temps, et a aimé le breuvage. Il nous a parlé de manières de travailler en groupe, qui lui ont semblé, depuis qu’il les pratique, parmi les meilleures méthodes pour optimiser la production et le restitué d’un groupe. Ce qui nous intéresse tout particulièrement, n’ayant que peu de ressources disponibles. Il s’agit des formats de Technologie Espace Ouvert, et Un-Conference, très proches l’un de l’autre. https://www.unconference.net/unconferencing-how-to-prepare-to-attend-an-unconference/
Conclusion
Un fort consensus s’est exprimé pour l’augmentation du nombre d’évènements, si possible plus ciblés, pas forcément centrés sur la mémétique, avec une part d’auto-organisation pour faciliter la mise en oeuvre, et la possibilité de s’appuyer sur des lieux propices tels que la mutinerie à Paris. Les envies de faire un séminaire avant la fin de l’année civile, et l’envie de se revoir l’année prochaine, même lieu, mêmes dates, ont également été exprimées.
Le besoin d’outils, de méthodes et de références en commun, est toujours présent. Ceci pour faciliter la compréhension mutuelle au delà des disciplines : pouvoir relier les modélisations mémétiques et les études d’oeuvres littéraires est loin d’être aisé en première approche. Un sentiment de responsabilité apparaît : maintenant il faut avancer.
Pour finir, voici une question qui reste ouverte : « Existe-t’il aujourd’hui une méthodologie partageable/adaptable permettant d’analyser une oeuvre, une série d’évènements, éventuellement à plusieurs, autre que l’analyse de texte ? » A quelles questions pourrions-nous répondre avec ce genre d’outils mémétiques ou de pratiques partagées ? Continuer le travail autour de la grille d’analyse peut être une bonne piste. Si vous avez des débuts de réponses, n’hésitez pas à commenter cet article.
Bel effort pour reconstituer une très plaisante après-midi malgré le temps et dont la lecture de ce texte ravive des souvenirs.
Un grand merci à Angela de nous avoir convié sur ce très beau site.
Je ne serais pas aussi assuré sur le nombre d’histoires possibles, il y a plusieurs manières d’aborder la problématique et l’énumération des thématiques en dépend. Ainsi par exemple la large thématique du « sacrifice » peut avoir des variantes très différentes dans ses objectifs profonds et sa résolution. D’iphigénie en tauride à breaking the wave… Enfin bon, c’est un détail.
Ps: Puis-suggérer,
1) que nous fassions un enregistrement audio la prochaine fois ? Afin d’avoir une retranscription / adaptation / mise en forme, plus nette que celui de nos souvenirs combinés, parfois estompés ou militants ?
2) que nous retrouvions autour d’un café ou d’une assiette si le beau temps n’est pas de la partie ?
Compte-rendu très intéressant de ce café du 7 juillet dernier. Merci !
Hello en regardant sur theses.fr, j’ai trouvé ceci (il y en a peut-être d’autres) qui intéresse ce sujet ! Pascal
« Gènes et mythes littéraires : pour un modèle biologique du dynamisme mythique »
par Abolghasem Ghiasizarch. Texte accessible en ligne.
http://www.theses.fr/2011GRENL001