Théorème d’incomplétude et Dynamique en Spirale
Bernard Duclos nous rappelle : « La théorie Spiral Dynamics est largement inspirée des travaux de Clare Graves sur l’évolution des systèmes de valeurs chez l’adulte. Graves a montré que ces systèmes de valeurs sont structurés sous la forme d’une double hélice, au sein de laquelle les VMèmes successifs intègrent et dépassent les précédents. En d’autres termes, chaque VMème fabrique les problèmes que le VMème suivant aura à résoudre. L’émergence de chaque nouveau VMème se traduit notamment par une nouvelle vision du monde, une motivation adaptée et une capacité renouvelée de faire face aux conditions crées par le VMème précédent.
Dans ces travaux originaux Graves envisageait un continuum de systèmes émergents. Pourtant des 1973 il constatât ce qui pouvait être une rupture entre le 6ème (Vert) et le 7ème (jaune) niveau. De plus, dès le 7ème niveau il a été remarqué une » croissance de l’espace conceptuel » marquant un focus sur « l’être et le savoir » plutôt que sur la survie. C’est ainsi qu’est né l’hypothèse de Paliers de 6 niveaux représentés par le schéma suivant. »
Dans cette nouvelle proposition Pascal Jouxtel nous indique « que vu des 6 premiers vMèmes on a l’impression de détenir une vision complète du monde, alors que dès le 7ème niveau, on a une vision du monde qui « sait qu’elle n’est pas la vision complète ».
La question se pose de savoir si les mathématiques et notamment le théorème d’incomplétude de Gödel pourrait nous apporter un éclairage sur le passage vers le second palier ?
Pour comprendre en quoi le théorème d’incomplétude pourrait nous éclairer, il faut faire un détour par les systèmes formels afin de mettre en évidence un point de passage entre un système formel dit « complet » et un système formel dit « incomplet ».
Un système formel est un ensemble de règles et d’axiomes à partir desquels nous allons pouvoir énoncer des propositions (théorèmes). La puissance dans les systèmes formels augmente par l’ajout de règles qui leur permet de traiter des opérations plus complexes.
On dira d’un système qu’il est « complet » si chaque proposition peut être démontrée. Cette contrainte engendre des systèmes relativement peu puissant mais dans lesquels on ne pourra pas rencontrer de proposition à la fois vraie et fausse.
Si l’on ajoute des règles permettant d’énoncer des propositions vraies et fausses, on offre la possibilité de prouver une chose et son contraire. Dans ce cas le système acquiert plus de puissance mais comme il ne peut plus démontrer ses propres contradictions il devient « incomplet ».
Une des conséquences de cette puissance est l’auto-référence. Notre système se mord la queue. Par exemple dans un tel système nous pourrions énoncer : « Cette phrase est fausse. ». Ce qui en fait une proposition à la fois vraie et fausse. Vraie parce qu’elle est bien formée et fausse parce qu’elle dit le contraire. Si on programme un ordinateur avec ce système et qu’on lui demande de nous dire si cette phrase est vraie ou fausse, il ne pourra pas répondre.
En ajoutant des règles permettant l’auto-référence nous sommes passé d’un système « complet » à un système « incomplet ». Mais pouvons nous encore lui faire confiance ? « Comment un tel système pourrait-il survivre quand un de ses axiomes affirme qu’il existe une démonstration de sa propre négation ? » (1) interroge Douglas Hofstadter.
C’est ici que Gödel intervient en apportant une réponse à cette contradiction qui embarrassait l’ensemble des mathématiciens depuis un bon moment. En 1931 il résout le problème avec son théorème d’incomplétude en démontrant « … l’existence, à l’intérieur de n’importe quel système formel suffisamment puissant, d’assertions vrais mais non démontrables, c’est à dire son « incomplétude ». » (2)
Autrement dit : « … dans tout système formel permettant d’énoncer des propositions vrais et fausses, il existe au moins une proposition dont il est impossible de décider si elle est vrai ou fausse sans « sortir » du système, c’est à dire sans faire appel à des informations inconnaissables dans sa sphère de validité. » (3)
Cela signifie que le fait d’accéder à l’auto-référence fait émerger l’impossibilité de démontrer l’ensemble de ses propres propositions tout en rendant possible – grâce à la démonstration de Gödel – la cohabitation entre les contradictions.
Le système en devenant plus puissant a changé d’équilibre.
A partir de là on peut se poser la question de savoir si le passage du premier groupe de vMeme au second ne participerait pas d’une logique similaire. C’est à dire que l’émergence proviendrait à la suite d’une augmentation graduelle de nos connaissances à un seuil impliquant une acceptation de nos propres contradictions. C’est à dire le passage à une compréhension auto-référente de notre représentation du monde. Cette représentation devenant acceptable grâce à la capacité de notre cerveau à voir (sans pouvoir forcément l’expliquer) la logique de la démonstration du théorème de Gödel qui se résume à éclairer une cohabitation qui jusque là nous paraissait impossible.
Bertrand Biss
Douglas Hofstadter :
(1) – p 511 « Gödel, Escher, Bach » – InterEdition 1985
(2) – p 98 « Gödel, Escher, Bach » – InterEdition 1985
Pascal jouxtel :
(3) – p 76 « Comment les systèmes pondent » – Edition Le Pommier 2005
Spiral Dynamics
– https://www.clarewgraves.com/
– https://www.spiraldynamics.com/
Théorème d’incomplétude :
– https://www.jutier.net/contenu/kgodel.htm
– https://www.eleves.ens.fr/home/ollivier/philo/notes/quine1.html.fr
Système formel :
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Système_formel
Douglas Hofstadter :
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Douglas_Hofstadter