Souvent c’est la découverte d’une certaine autonomie des idées qui nous conduit lorsqu’on croise les chemins de la mémétique à nous y intéresser. Dès lors c’est le début des complications.
Un des premiers écueils auquel on se trouve fréquemment confronté est d’essayer de comprendre en quoi la mémétique diffère de plein d’autres approches s’occupant de la culture. Pour n’en citer que quelques unes : l’ethnologie, le Darwinisme social, la psychologie des foules, etc apparaissent comme autant d’expertises creusant chacune dans la connaissance en se complétant pour étendre notre savoir.
Où situer la mémétique dans ce paysage ? Dire qu’elle n’est pas à un endroit mais partout embrouille en général plus que cela n’éclaire. Nous y reviendrons.
A la difficulté de la situer s’ajoute un second écueil. Au lieu de nous apporter des réponses elle nous inonde de questions. A commencer par le mème lui même incapable de nous livrer facilement son identité. Perdu dans ses multiples définitions qui ont pour effet de renforcer la confusion.
Si l’on persiste malgré tout, un autre écueil se dresse encore sur notre chemin. On s’aperçoit qu’il faut laisser tomber la métaphore génétique qui nous avait permis de commencer à comprendre cette approche pour le moins déroutante. Béquille nécessaire pour mettre le pied à l’étrier qui se révèle un fardeau lorsqu’on souhaite commencer à lâcher la bride.
S’ajoute à tout cela le sourire en coin provoqué à l’énonciation du mot mémétique qui le plus souvent peine à être défendu tellement il n’est pas simple d’expliquer la mémétique en quelques mots. A moins d’effectuer ce petit raccourci auquel à eu recours ma fille à 12 ans et sûrement bien d’autres : « La mémétique c’est l’étude des grands mères pourquoi ? ».
Une autre façon de voir les choses ?
Un moyen permettant d’y voir plus clair est d’envisager un changement de point de vue. Et pour se faciliter la tâche, changer de référent. Ce dessin d’Escher : « Concave, convexe » peut nous aider à mettre en place cette gymnastique de l’esprit qui consiste en changeant de référent à voir la même chose autrement.
En prenant la partie de droite comme référent tout le dessin semble convexe. Une fois cette vision bien en place, on s’amuse à prendre le côté gauche en référent et là tout ce qui était convexe devient concave.
C’est à cette gymnastique qu’il faut avoir recours, et en ce qui nous concerne cela se traduit par chausser les lunettes de méméticien. C’est à dire faire l’hypothèse que les idées agissent plus sur nous que nous sur elles.
Un changement de réfèrent qui petit à petit va nous faire voir autrement. Tout est pareil et en même temps tout est différent. Si ce n’est plus moi qui ai le contrôle de mes idées mais elles qui fonctionnent pour leur propre compte (à l’insu de mon plein gré) cela signifie que ce que je suis en train d’écrire prend forme malgré moi.
Bien sûr pas contre moi sans que je ne puisse rien faire. Juste comme une plante poussant au milieu des autres simplement parce que les conditions lui permettant d’éclore sont réunies. Nous essayons tous plus ou moins de réunir ces conditions permettant à nos idées de prendre vie mais on voit bien aux résultats que si nous avions le contrôle les choses se feraient autrement. Peut-être un peu plus comme on le souhaite.
Lorsque j’ai croisé les chemins de la mémétique cela m’est apparu comme une évidence. Notamment l’idée d’une extension du domaine du vivant à la culture. Les phénomènes culturels ayant nombres de similarités dans leurs fonctionnements (transmissions, reproductions, mutations, etc) qu’un second réplicateur pourrait être à l’oeuvre. Le premier du domaine biologique, le gène et le second du domaine culturel le mème. La mémétique une approche pour l’étudier. En résumé une théorie de l’évolution des idées.
Seulement voilà tout ce que je viens d’énoncer ne résonne sans doute pas aussi clairement en vous qu’en moi. Il m’a fallu du temps pour que le changement de point de vue s’opère. Même si cela m’apparaissait comme une évidence je le considérais à l’aide de mes anciens référents. Je m’en rendais compte car j’étais incapable de le formuler non seulement aux autres mais également à moi même.
Je me trouvais dans cette apparente contradiction de commencer à comprendre quelque chose sans pouvoir l’expliquer. Situation somme toute assez banale et habituelle. Tant que le changement de référent n’est pas stabilisé tout est un peu embrouillé.
Ce que l’on voit concave apparaît également convexe. Ce dédoublement de vision de la même chose en l’occurrence de la relation de moi à mes idées amène un certain trouble jusqu’à ce qu’on n’accorde plus d’importance au nouveau référent.
Je me considérais créateur de mes idées. Je les considère maintenant suffisamment autonomes pour se débrouiller toutes seules et se servir au moins autant de moi que moi d’elles.
De quoi se nourrissent les idées ?
De notre temps de cerveau. Comme celui-ci n’est pas illimité on comprend bien qu’elles sont en compétition. Elles ne se livrent pas pour autant de batailles (au sens propre du terme). Elles n’ont pas d’intention ni de volonté. Mais au final toutes ne pourront éclore. Seules celles rencontrant les conditions suffisantes y arriveront.
Cette tentative d’explication de la mémétique pour les nuls en train d’éclore dans mon cerveau en se répandant en ce moment sur ces lignes n’y échappe pas. Qu’est ce qui lui permet d’apparaître ?
- Une prédisposition chez moi à prendre du plaisir à transmettre. Donc un terrain favorable pour qu’elle se développe.
- Une réunion hier avec des méméticiens anciens et nouveaux.
- Un constat se faisant jour : les écueils auxquels chacun se heurte en abordant les rivages de la mémétique.
- Suite à mes explications orales répétées pour tenter d’éclaircir les choses, une proposition de Charles d’en faire un résumé.
- Une disponibilité aujourd’hui pour m’y coller aidé par l’envie de renouer avec le plaisir d’écrire.
- La perception que mon propos (la graine) semblait suffisamment mure pour que cela vaille la peine d’y consacrer plusieurs heures et donc y dépenser une énergie qui j’espère m’apportera en retour.
Un retour espéré étant par exemple le fait que ce texte puisse contribuer à éclairer un peu les choses ne serait ce que pour une personne. Ceci constituant un peu d’eau pour cette petite plante (idée) lui offrant la possibilité de pousser un peu plus (un autre article pour étoffer le sujet) à moins que d’autres graines ou plantes (travail, loisir, etc) à ce moment accaparent mes ressources en escomptant un retour plus important.
Aujourd’hui c’est cette idée qui a eu le dessus sur les autres. Je ne peux pas prévoir si d’autres conditions se présenteront pour qu’elle se développe.
A quoi la mémétique peut-elle bien servir ?
Comme tout changement de point de vue, à élargir notre champ de vision.
L’hypothèse mémétique propose comme je l’évoquai plus haut d’étendre la notion du vivant au domaine culturel.
Chausser les lunettes de méméticien :
- Amène à considérer les idées vivant à travers nous sans que nous ayons plus de contrôle sur elles que la Terre en a sur les plantes, les animaux ou nous même.
- Revient à se considérer comme du terreau pour les idées. Et donc prendre de la distance pour ne plus s’imaginer créateur de celles ayant poussé chez soi.
- C’est développer un autre regard qui nous ferra voir différemment tout ce qu’on connaissait déjà et ce qu’on découvrira.
Pour revenir à notre premier écueil, on comprendra sans doute un peu mieux (enfin si cette graine qui me semblait mure l’est réellement) que la mémétique ne se situe pas au même niveau que les différents domaines de recherche. Elle est un changement de point de vue et donc on peut dire qu’elle est partout en ce sens que chacun peut chausser les lunettes de méméticien pour continuer ses recherches en ethnologie ou autres disciplines.
Avec ce nouveau regard le chercheur verra peut-être autrement sa discipline et ce qu’il observe. Il établira peut-être des relations qu’ils n’auraient pu imaginer auparavant.
En dehors de la recherche, chacun de la même manière portera un regard différent avec un peu plus de recul sur ce qui se passe en lui.
S’il veut aller plus loin il pourra devenir méméticien, c’est à dire étudier les mécanismes de reproductions, mutations et sélections des idées afin de faire avancer leur compréhension.
Bertrand Biss
Un grand merci pour l’éclairage, donc.
Merci pour ce bel effort, en espérant pour nous autres pauvres « pécheurs » pouvoir continuer à garnir nos filets de vos précieuses informations!:)
Merci pour les éclaircissements…
Egalement merci pour cette introduction libre.
Que le Grand Mème vous accompagne.